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Les compétences sociales et langagières des enfants précoces – Partie 2

Dans cette seconde partie , je vais vous donner mes impressions toutes personnelles sur le sujet abordé par Sara Coduri. N’hésitez pas à laisser votre avis sur la question.

L'enfant et le vieillard

Comme l’indique la conclusion de l’étude menée par S. Coduri sur un échantillon de 10 enfants, que je vous ai présentée dans la première partie de cet article, les résultats ne sont pas significatifs, assez hétérogènes et l’on constate souvent des scores inférieurs à la norme. Les compétences langagières élevées des enfants précoces ne favoriseraient pas, contrairement à ce que l’on pourrait attendre,  leurs capacités à s’adapter à l’environnement qui les entoure. Dans cette seconde partie, je vais vous donner mon impression personnelle et mes idées sur le sujet. Nous pouvons en discuter à travers les commentaires si vous le désirez.

Une norme inadaptée à l’enfant précoce

La question qui se pose alors est celle de la norme, quelle valeur donner à cette norme sachant qu’elle ne reflète pas les capacités et le mode de fonctionnement des enfants à haut potentiel.

Ne faudrait-il pas, pour évaluer leurs compétences verbales et sociales réelles, les confronter à un mode qui leur corresponde ?

De nombreux témoignages et expériences montrent que ces enfants qui sont seuls dans la cour de l’école ou parlent inlassablement de sujets qui n’intéressent personne d’autre qu’eux-mêmes dans un milieu dit « normal », sont complètement transformés et ont un contact facile et naturel lorsqu’ils se retrouvent entre eux, par hasard dans une classe ou lors d’une rencontre entre personnes à haut potentiel. Ils se reconnaissent ou s’attirent sans savoir pourquoi. Lorsque ces rencontres ont lieu, même fortuitement, ils se retrouvent eux-mêmes, échangent, se lâchent et l’on peut constater à ce moment qu’ils ont globalement les mêmes codes et les mêmes implicites, cette unité de « code » favorisant à elle seule l’échange.

De même, en général, le petit précoce de 0 à 3 ans, dans son milieu naturel, évolue très bien s’il est favorablement sollicité. Les problèmes ne surgissent que lorsqu’il doit s’intégrer à un modèle social tel l’école qui a ses propres codes et ses propres règles et demande à l’enfant de s’adapter à lui au lieu du contraire, tout en restreignant qui plus est les relations avec les enfants d’un autre âge que le sien.

Le petit précoce, lui, au contraire, cherche à entrer en contact avec des enfants plus âgés, souvent 2 à 3 ans de plus, et y trouve son compte. Même si l’inverse n’est pas toujours réciproque car les grands voient parfois en lui un bébé amusant.  Malheureusement, le système tel qu’il est conçu fait qu’il devient difficile, voire surprenant d’admettre qu’un petit puisse échanger facilement avec des grands en dehors du cadre familial. C’est la résultante de l’organisation de la « société des enfants » par âge scolaire, à l’école tout comme dans les activités périscolaires.

Ne serait-ce pas cette norme sociétale qui organise la vie des enfants en fonction de leur âge et non de leurs capacités qui pose réellement problème ?

Si l’on y réfléchit, à l’âge adulte et dans le monde du travail, on ne vous confine pas dans une pièce avec des semblables nés la même année ! En famille non plus. Les petits sont élevés et éveillés par leurs parents et leurs frères ou sœurs aînés qui leur servent de modèle, un modèle qui élève l’enfant et l’aide à grandir.

Des expériences d’écoles sans classes se font jour et ces modèles semblent bien adaptés aux enfants précoces. Pourquoi ? Parce que les enfants y sont instruits selon leurs possibilités, leurs aptitudes du moment, leurs envies et centres d’intérêts, plutôt que simplement en fonction de leur âge.

Si l’on considère effectivement que « le traitement de l’information sociale est en interaction avec des processus centraux tels que les compétences sociales et les schémas sociaux liés aux expériences passées », et que « ce traitement est réévalué constamment et évolue à l’aide des feedbacks de la part des pairs » (extraits du mémoire de Sara), on peut facilement comprendre qu’à force d’accumuler des expériences négatives, l’enfant finit par adopter un comportement peu en phase avec ses capacités réelles, « il parle de façon répétitive de choses qui n’intéressent personne », « il est perçu comme bizarre par les autres enfants et est donc activement évité ». L’explication est simple : à force d’être confronté à des implicites et des codes  qui ne sont pas les siens, l’enfant précoce peine à acquérir les habiletés sociales nécessaires pour s’épanouir en société. C’est ce que confirme la conclusion de l’étude :

Nous évoluons dans une société avec des règles à respecter et déterminant une « normalité ». Les individus ne répondant pas aux normes fixées sont déclarés « anormaux », ce qui, dans l’esprit populaire, est porteur d’une connotation négative et péjorative. Or, les enfants à hauts potentiels sont « anormaux », « handicapés (…) dans l’autre sens » selon Chauvin (1975), mais privés de toutes connaissances sur leur véritable fonctionnement, ce qui vient fixer sur eux une étiquette d’enfants différents et parfois difficiles, biaisant leurs perceptions d’eux-mêmes et leurs relations sociales, alimentant par là-même leur insécurité fondamentale.

Il serait intéressant de pouvoir mener le même genre d’étude au sein d’un groupe d’enfants qui aurait par exemple suivi une scolarité différente, instruits en famille par exemple, voir modèle de André Stern , ou ayant évolué ensemble dans un cadre adapté pour eux.

Un mode de raisonnement atypique qui ne facilite pas les études

Après la question de la norme vient celle du mode de raisonnement. Il est maintenant couramment admis que l’enfant précoce a un cerveau droit plus développé, une pensée divergente, globale, intuitive. Or, je me demande si le fait, lors du passage des évaluations comportementales, de devoir réfléchir et décortiquer dans le détail des données acquises naturellement et depuis longtemps (peur, joie…) ne met pas l’enfant précoce en insécurité d’où un biais sur les résultats. C’est un peu comme s’il fallait réfléchir au processus qui engendre la marche avant de faire un pas, ne serait-ce pas perturbant ?

Il se pourrait que des enfants plus jeunes, qui ne se sentent pas évalués et soient soumis à ces échelles sous forme de jeu, y répondent plus spontanément et que le résultat soit plus significatif car ils réagiraient d’instinct (conformément à leur mode de fonctionnement) sans avoir été modelés au préalable par la norme et l’expérience.

Les bébés surdoués expriment énormément d’affects à travers le regard, intense et significatif, et réagissent activement aux mimiques, paroles, émotions des personnes qui les entourent. Ils ressentent très fortement la joie, la colère, la méchanceté, le danger, de telle sorte que souvent s’instaure entre eux et leurs parents un dialogue implicite, une connivence naturelle mais non ordinaire.

Il serait à mon avis fort intéressant et instructif de mener ce type d’étude sur des enfants très jeunes, sur ces bébés qui étonnent à la maternité, qui, à peine nés, scrutent déjà et font sourire ou attirent de façon inexpliquée le personnel de l’hôpital, qui inquiètent parfois leur maman et surprennent leur entourage par l’intensité de leurs réactions.

Si l’on se réfère à la définition de Philippot, qui, repris par Sara, dit que les émotions de base sont innées, pan-culturelles, automatiques et courtes (maximum cinq secondes), on en revient au fonctionnement naturel et intuitif de l’enfant précoce qui réagit rapidement à l’information qu’on lui donne (cerveau gauche), et serait moins à l’aise pour interpréter et décoder ses réactions (cerveau droit), d’où les résultats surprenants mais compréhensibles sur le rapport entre les compétences langagières élevées et les habiletés sociales paradoxalement mal corrélées des EIP.

Une réflexion semble par conséquent devoir être menée au sujet du cadre imposé à l’enfant précoce. En effet il s’agit d’un cadre basé sur un fonctionnement cognitif qui n’est pas le sien, qui ne laisse pas une grande place à l’imagination, à l’intuition, à la créativité, qui bride son  mode de pensée (pensée en arborescence) et le force à rester centré de façon très rationnelle et répétitive sur un sujet particulier à un rythme imposé. Il n’est pas à sa place et se trouve dès lors en forte insécurité, consciente ou non, insécurité révélée par les résultats des grilles d’évaluation.

Il serait peut être judicieux, afin de mieux comprendre l’enfant précoce dans sa globalité, de se référer aux anciennes définitions de la précocité dont 2 d’entre-elles, mentionnées par Sara dans son mémoire, me semblent très pertinentes et appropriées et illustrent bien le décalage qu’il peut y avoir aujourd’hui entre leur « être » profond et l’environnement dans lequel ils doivent évoluer :

Le concept de « puer senex » (enfant vieillard) dont on attribue l’étude au philosophe allemand Ernst-Robert Curtius (Vauthier, 1998, page 7), évoque l’enfant qui ne partage pas le comportement ni les amusements des autres enfants, de l’enfant empli de sagesse qui se détourne des jeux pour se concentrer sur la prière (La Roccas, 2007, page 35).

De même que le concept de « putti », datant des XVIe et XVIIe siècles, âge d’or de la précocité, évoquant ces enfants au service de peintres de talent devenant artistes à leur tour (Raphaël, Michel-Ange, Léonard De Vinci).

Ces définitions évoquent bien des enfants différents à qui l’on accordait une place différente leur permettant de trouver leur voie et de s’épanouir. Et si tout n’était alors qu’une simple question d’environnement ?

C’est un vaste sujet que celui des compétences sociales et langagières de l’enfant précoce, sujet qui reste entier et ouvert et sur lequel je vous invite à vous exprimer si vous le souhaitez.

Merci encore une fois à Sara Coduri pour nous avoir fait part de son sujet d’étude et de nous avoir permis d’entamer la discussion et la réflexion sur ce thème.

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