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La précocité intellectuelle, une richesse humaine à prendre en compte

Récemment, l’émission Envie d’avenir sur RCF a abordé le sujet de la précocité intellectuelle, avec Jean-Marc Louis et Fabienne Ramond, coach et formatrice spécialisé dans l’accompagnement des personnes à haut potentiel. Ecoutez l’émission maintenant sur EPI.

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Cette semaine, l’émission Envie d’avenir sur RCF aborde le sujet de la précocité intellectuelle, avec Jean-Marc Louis, auteur de l’ouvrage « Mon enfant est-il précoce ? » et ancien inspecteur de l’Education Nationale, et Fabienne Ramond, coach et formatrice sur le thème de la précocité.

Bonsoir, je suis très heureux de vous accueillir sur l’antenne de RCF pour ce numéro d’Envie d’avenir consacré ce soir à la précocité intellectuelle. C’est là une particularité qui touche selon les statistiques 3 à 5% de la population et qui a des répercussions sur le développement de la personnalité et, par là, sur de nombreux domaines comme la scolarité, la construction de l’identité professionnelle et aussi, ce qui n’est pas négligeable, les relations sociales.

Alors pour nous en parler : Fabienne Ramond, notre fil rouge pour le domaine de l’éducation. Coach, formatrice, Fabienne Ramond a publié ouvrages et articles sur cette question.

Alors, qu’est-ce que la précocité intellectuelle ?

La précocité intellectuelle est un sujet qui est dans la réflexion depuis pas mal d’années maintenant. C’est Jean-Claude Terrassier je crois qui le premier, avant l’an 2000 avait posé les bases de cette particularité du fonctionnement de certains enfants notamment en identifiant des mécanismes très particuliers qu’il a pu définir. Par exemple la dyssynchronie qui est en fait l’expression d’un décalage important entre les compétences intellectuelles d’un côté et les aspects sociaux et affectifs de l’autre, beaucoup moins « en avance » que ce que le terme de précocité pouvait laisser penser.

On remet souvent en cause l’histoire de précocité comme une avance. Je sais que sur un plan étymologique ça vient du grec qui veut dire « qui mûrit plus vite ». Est-ce qu’on est vraiment à des stades de développement avancés ou à un mûrissement de la personnalité ?

Le concept est ambigu. Il est vrai que le concept de précocité fait référence à une notion de développement qui serait en avance par rapport à une norme et en cela les personnes appartenant à ce profil ont une relative avance en terme de développement notamment du langage, des sujets de pensée ou des préoccupations. Le terme est ambigu : autant pour des enfants on peut considérer un développement précoce comparativement à d’autres au même âge, autant il heurte les consciences lorsqu’on l’applique aux adultes.

Actuellement, pour qui s’intéresse à cette question et lit un peu les publications récentes, on associe la précocité intellectuelle qui au surdouement, d’autres au haut potentiel, et je viens de découvrir tout à fait par hasard des auteurs qui parlent, en s’adressant à ces personnes intellectuellement précoces, de philo-cognitifs. Que pensez-vous de c es termes ?

Je pense d’une part que dans la recherche autour de la définition de ces concepts complexes, il n’est pas inutile que les chercheurs, les théoriciens, les praticiens même, ré-interrogent les concepts qui ont été mis en place il y a quelques années. Ça fait partie de la recherche. Aujourd’hui on assiste à la naissance d’un nouveau concept qui est les philo-cognitifs ; on ne va pas jeter le bébé avec l’eau du bain, ça n’enlève pas toutes les recherches qui ont été menées auparavant. C’est une définition nouvelle, elle va demander à être mise à l’épreuve de la réalité, notamment à la réalité des enfants qui sont dans les classes ou dans les familles. Ce terme de « philo-cognitifs » apporte un concept plus du domaine de la pensée et du raisonnement. Dans les études que j’ai pu mener en tant qu’enseignante et à l’occasion de la publication de mes publications, il me semble quand même qu’on mettait aussi l’accent sur les difficultés que pouvait revêtir la façon de penser de ces personnes, qui rencontrent des difficultés d’adaptation. On peut constater qu’au delà de ces mécanismes de pensée qu’on ne peut pas remettre en question, le terme de philo-cognitif est tout à fait approprié, puisqu’il exprime une tendance à penser sans pouvoir s’arrêter, l’aboutissement d’une idée étant immédiatement suivi d’une autre idée. En revanche il me semble que l’on oublie encore une fois de mettre l’accent sur les difficultés relationnelles et affectives que cela engendre, sur le décalage entre ce potentiel, cette avance en terme de réflexion qui est tout à fait pertinente et remarquable ; mais le corollaire c’est des difficultés d’adaptation à la société, des difficultés à comprendre son propre fonctionnement et qui peuvent engendrer des problématiques scolaires voire pour les adultes des problèmes de relations sociales, professionnelles ou familiales.

Le généticien Albert Jacquard s’élevait contre les appellations de « surdoué » et de « haut potentiel ». Il y voyait une discrimination positive qui n’avait pas lieu d’être.

Oui, on a un peu cette tendance à la verticalisation, une espèce de hiérarchisation par le haut, où le surdoué serait au-dessus du doué, le haut potentiel au-dessus de quelqu’un qui aurait juste un potentiel… Je pense que tout le monde est à la recherche de la qualification la plus objective et la plus représentative de cette réalité. C’est vrai que c’est un peu dérangeant d’avoir toujours cette approche par le haut, parce que l’air de rien implicitement ça renvoie à l’idée que ces personnes seraient surdotées ou en position plus haute que d’autre, alors qu’on voit bien, notamment quand on parle de précocité, qu’elles présentent des difficultés qui peuvent empêcher ce potentiel de se réaliser, par des freins personnels, des blocages et du mal à s’adapter.

Vous avez dans votre carrière professionnelle non seulement réfléchi à cette question, mais vous avez aussi suivi des élèves, accompagné des enseignants qui étaient confrontés à cette réalité de la précocité intellectuelle. Pouvez-vous nous dire comment ça se traduit, au niveau d’un gamin dans une classe ? A quoi voit-on que c’est un enfant intellectuellement précoce ?

C’est une question qui me pose un peu problème, parce que je ne voudrais pas commettre l’erreur de catégoriser la précocité. Il faut quand même dire que la majorité des enfants qui ont ce profil sont bien adaptés à l’école ; dans les élèves que nous avons pu suivre, ce sont ceux qui, pour une petite minorité d’entre eux, rencontrent des difficultés d’adaptation du fait de leur profil psycho-affectif, qui font qu’ils ont du mal à s’adapter et à réguler leur profil scolaire par rapport à l’attente de l’institution et des enseignants. Dans les élèves que j’ai pu suivre sur différents dispositifs du premier comme du second degré, on pouvait constater que pour cette petite catégorie de jeunes qui présentaient ces problématiques, ils souffraient d’un manque de sens par rapport à ce qu’on leur demandait, et de l’injustice qu’ils ressentaient au regard des efforts qu’ils faisaient comparés au résultat final. Ils étaient souvent démunis face à la demande scolaire de justifications de raisonnement, étant absolument incapables d’expliquer comment ils étaient parvenus au résultat. C’est là une des caractéristiques de la précocité intellectuelle, ce que Jeanne Siaud-Facchin appelle la fulgurance, c’est-à-dire que les mécanismes de pensée sont tellement rapides que l’élève parvient à la réponse juste presque instantanément d’une façon qui lui échappe complètement et qui, lorsque la demande de l’enseignant est de présenter un raisonnement logique, chronologique et bien argumenté, le rend incapable de justifier sa réponse. Et ça se double du fait que ce jeune sait qu’il a, comme l’enseignant, la réponse juste et se demande donc « à quoi ça sert ». On lui demande d’expliquer sa procédure de raisonnement alors qu’il sait pertinemment que celui-ci est juste, il ne voit donc pas l’intérêt de le justifier. Ces questionnements là sont parfois difficiles pour les jeunes parce qu’on leur demande d’expliquer des choses qui leur semblent aller de soi.

Sur le plan des relations sociales, n’y a-t-il pas une problématique aussi ? Sont-ils bien intégrés ?

Ils peuvent l’être s’ils ont un profil d’adaptation sociale satisfaisant et adéquat. Par contre un certain pourcentage d’entre eux se retrouve en décalage du fait de leurs questionnements d’ordre métaphysique, ou parce qu’ils cherchent constamment une réponse à leurs interrogations. Ainsi, lorsqu’ils sont en compagnie d’autres enfants du même âge, ils se retrouvent assez vite en manque de réponses. Ils peuvent donc avoir tendance à rechercher des camarades plus âgés voire des adultes avec lesquels ils pourront avoir des discussions de fond pour répondre à de grandes problématiques existentielles, réponses que des jeunes de leur âge de peuvent pas leur donner.

Peut-on alors parler d’une forme de souffrance ?

Absolument. Les personnes qui ont ce profil sont en grande souffrance du fait de ce questionnement permanent qui les pousse à chercher des réponse, alors que même les adultes ne connaissent pas de réponse à certaines de ces questions. C’est là une très grande source de désespoir pour eux.

Si vous aviez un conseil majeur à donner à un enseignant ou un parent confronté dans son quotidien à un enfant intellectuellement précoce, que diriez-vous ? Sur quoi doit-on insister ?

Je crois que les deux choses les plus importantes sont d’être à l’écoute de l’enfant, de son questionnement qui le dépasse ; et par ailleurs il faut avoir une capacité de cadrage, de donner certaines limites pour le rassurer et contenir l’enfant afin de ne pas arriver à des situations quasi insolubles. L’écoute et un cadrage.

Est-ce que vous avez rencontré des adultes intellectuellement précoces, et sont-ils aussi en souffrance, ou cela passe-t-il avec l’âge ?

Je pense en avoir rencontré ; il est un peu difficile de répondre à cette question, car comme les enfants, certains ont su s’adapter aux normes sociales, ont bénéficié d’appuis dans leur vie affective et professionnelle. J’ai pu en rencontrer aussi qui avaient tout ça et qui, malgré tout, étaient encore en souffrance par rapport à ce profil particulier qu’ils avaient. Ils faisaient état de cette fatigue du cerveau sans arrêt en recherche de questions et, de ce fait, pouvaient avoir des attitudes relativement excessives ou incompréhensible par l’entourage si l’on n’est pas un peu averti de ce mode de fonctionnement.

Donc on retient de l’écoute, de la bienveillance, de l’amour…

De l’amour et surtout pas de jugement, et voir que ces personnes là, adultes comme enfants, ont des potentiels énormes, souvent de créativité, et que c’est là-dessus qu’il faut peut-être davantage jouer plutôt que d’avoir un regard de fermeture.

Merci de nous avoir éclairés sur cette réalité qu’il est important de cerner parce qu’elle concerne trois à cinq pour cent de la population, mais peut-être plus, et que là-derrière il y a une richesse humaine qui est à prendre en compte.

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