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Les compétences sociales et langagières des enfants précoces – Partie 1

Sara Coduri, psychologue clinicienne, partage avec nous son travail sur les compétences langagières et sociales des enfants à hauts potentiels.

Compétences sociales et langagières de l'enfant précoce

Je souhaite vous faire partager aujourd’hui un large résumé de l’étude menée par Sara Coduri (voir son profil), psychologue clinicienne, sur le thème « Etude exploratoire des compétences langagières et sociales chez les enfants à hauts potentiels âgés de 7 à 11 ans ». Avant tout, je remercie Sarah pour son travail et pour nous avoir autorisé à le mettre à votre disposition. L’intégralité de l’étude est disponible ici au format PDF pour celles et ceux d’entre vous qui souhaitent la lire.

Cette première partie sera constituée par le résumé de l’étude de Sara. Dans le seconde partie, je vous donnerai mon ressenti sur le sujet.

Pourquoi cette étude sur le langage des enfants précoces ?

Contrairement au stéréotype véhiculé dans notre société, les enfants à hauts potentiels (ou intellectuellement précoces) ne sont pas des génies sans failles. La littérature nous dévoile un portrait beaucoup plus complexe, avec un fonctionnement cognitif atypique source de grandes capacités mais également de diverses difficultés.

Les hauts potentiels sont identifiés à partir de la mesure du QI (quotient intellectuel) qui est souvent calculé à l’aide des échelles de Wechsler. La WISC-IV (échelle destinée aux enfants et adolescents) permet d’obtenir le QIT. (quotient intellectuel total) ainsi que 4 indices : indice de compréhension verbale (ICV), indice de raisonnement perceptif (IRP), indice de mémoire de travail (IMT) et indice de vitesse de traitement (IVT). Dans 86% des cas, il existe une différence significative entre l’ICV et l’IRP des enfants à hauts potentiels et 76% ont un ICV. dominant (Liratni & Pry, 2012).

De nombreux spécialistes relèvent des profils hétérogènes, et n’évoquent ceux-ci qu’au travers de l’écart fréquemment observé entre le QIV et le QIP (Mueller, Dash, Matheson, & Short, 1984). Les interprétations de cet écart sont sources de débat, certains le considérant comme une caractéristique de cette population, alors que d’autres y voient un indice de dysfonctionnement psychologique (Kaufman, 1992). Wilkinson écrit que l’hétérogénéité des profils d’enfants à hauts potentiels relève davantage de la norme que de l’exception (1993, p. 89).

Les études portant sur les compétences langagières des enfants à hauts potentiels sont rares et souvent uniquement axées sur leurs performances au WISC-IV et sur de simples observations. Quant aux compétences sociales, deux courants s’opposent, l’un prônant leur équilibre et l’autre leurs difficultés.

Méthodologie de l’étude

La recherche ici présentée a pour but de déterminer les compétences langagières et sociales des enfants à hauts potentiels âgés de 7 à 11 ans ayant un profil psychométrique hétérogène, et d’observer s’il existe une différence selon la dominance du profil (ICV ou IRP dominant). Les compétences évaluées sont la reconnaissance d’affects, la théorie de l’esprit, la compréhension de l’implicite, les habiletés pragmatiques, et les habiletés socio-comportementales.

Dix enfants ont été recrutés, chacun ayant un Q.I. supérieur ou égal à 130. Cinq d’entre eux avaient un profil avec ICV dominant  et les cinq restants avaient un profil avec IRP dominant. Les compétences des enfants ont été recueillies à l’aide de la partie Perception sociale de la Nepsy II et du test de la Gestion de l’implicite. Les parents ont répondu à l’inventaire de comportements LCE et à la grille CCC de Bishop. Les enseignants, quant à eux, ont également complété la grille CCC de Bishop ainsi que la grille de repérage d’un élève à hauts potentiels.

Nous nous sommes alors demandé quels impacts pouvaient avoir le fonctionnement à hauts potentiels sur la communication et dans cette optique nous avons choisi de nous intéresser tout particulièrement aux aspects suivants :

Langage : les enfants à hauts potentiels sont décrits comme présentant des compétences langagières exceptionnelles (aisance orale, accès précoce au langage, stock lexical riche, etc.).

Pragmatique : les habiletés pragmatiques de la communication contribuent au respect des règles et garantissent une bonne interaction sociale. Toutefois, les enfants à hauts potentiels sont souvent présentés comme étant socialement inadaptés et refusant les règles.

Implicite : il existe des relations entre la compréhension de l’implicite et l’adaptation sociale ainsi que la réussite scolaire. Cependant, les difficultés scolaires vécues par cette population sont une cause majeure de demande de consultation. De plus, les enfants à hauts potentiels sont décrits comme présentant des codes implicites différents des autres.

Habiletés sociales : les habiletés sociales des enfants à hauts potentiels sont au centre de nombreux débats. La reconnaissance d’affects et la théorie de l’esprit font partie des processus impliqués mais les études scientifiques leur étant dédiées sont très rares.

Le concept d’habiletés sociales est difficile à cerner clairement et peu de données existent sur son développement chronologique. Néanmoins, certains auteurs donnent quelques repères de base.

Les habiletés sociales pourraient se résumer à la faculté de décoder, interpréter et répondre de façon adaptée à une information sociale.

Plusieurs processus cognitifs sous-tendent les habiletés sociales : les compétences langagières, la gestion des émotions, l’empathie, la théorie de l’esprit, et les fonctions exécutives (dont planification, flexibilité, raisonnement logique, résolution de problèmes). (Liberman, 1982 ; Poinsignon, 2010).

C’est pourquoi dans le cadre de cette étude, les enfants ayant tous de grandes compétences langagières (ICV élevé), ont été soumis, entre autres,  aux échelles suivantes :

  • Reconnaissance d’affects : aptitude à reconnaître les expressions courantes du visage (content, triste, neutre, inquiet, fâché, dégoûté).
  • Théorie de l’esprit : faculté de comprendre les fonctions mentales comme la croyance, les intentions, la tromperie, l’émotion, l’imagination, la fuite.
  • La gestion de l’implicite : capacité à évaluer une situation en fonction de données explicites et implicites.

L’ensemble des réactions à ces échelles est un indicateur des facultés des enfants concernés à prédire, anticiper, interpréter le comportement ou l’action d’autrui dans une situation donnée et à se mettre à la place des autres.

Larzul (2010) montre qu’il existe des relations entre la compréhension implicite et l’adaptation sociale des enfants, ainsi qu’une corrélation partielle significative et positive entre la compréhension implicite et la réussite scolaire.

Quels sont les résultats de l’étude ?

  • Reconnaissance d’affects :

Les résultats de la Nepsy II révèlent une grande hétérogénéité au sein de notre population. Nous faisons face à une grande variété de résultats en reconnaissance d’affects, du pathologique à l’excellence. Les capacités d’expressions émotionnelles n’ont pas été testées auprès des enfants. Néanmoins, en interrogeant les enseignants, nous trouvons des corrélations entre la reconnaissance d’affects et des difficultés d’expressions émotionnelles appropriées. D’ailleurs, paradoxalement, toujours selon les enseignants, plus les enfants à hauts potentiels sont performants en reconnaissance d’affects moins ils reconnaissent la signification des gestes. Nos résultats montrent que leurs compétences en reconnaissance d’affects n’ont pas de lien avec leurs compétences sociales. Ainsi, parents et enseignants s’accordent et révèlent des corrélations avec des problèmes d’adaptation sociale : problèmes de comportements, dit des choses inadaptées ou qui manquent de tact, individualiste, etc

  • Théorie de l’esprit :

Les résultats de la Nepsy II révèlent une nouvelle fois une grande hétérogénéité, sans effet d’âge et sans différence significative entre les deux groupes.

Les réponses des parents et des enseignants confirment les résultats obtenus en reconnaissance d’affects, à savoir que meilleur est le score de l’enfant moins ses compétences sociales sont adaptées : ramène la conversation à ce qui l’intéresse personnellement, parle de choses qui manquent de tact ou sont inadaptées, joue avec les mots de façon hors de propos, etc…

  • Gestion de l’implicite :

Nos résultats à la Gestion de l’implicite sont encore hétérogènes, sans effet d’âge et sans différence significative entre les deux groupes. Rappelons que la seule norme existante concerne une population de jeunes adultes alors que notre échantillon est composé d’enfants de 7 à 11 ans. Les comparaisons à la norme sont donc à manier avec précaution. Toutefois, seuls deux enfants obtiennent un score inférieure à la dite norme.

Larzul (2010) met en évidence des relations entre la compréhension de l’implicite et l’adaptation sociale des enfants, ainsi qu’une corrélation partielle significative et positive entre la compréhension de l’implicite et la réussite scolaire. Au sein de notre échantillon, nous ne trouvons pas de corrélation entre la compréhension de l’implicite et l’échelle de compétences sociales (LCE) qui comprend la réussite scolaire. De plus, les réponses fournies par les parents et les enseignants à la grille CCC de Bishop montrent des corrélations entre la gestion de l’implicite et un comportement conversationnel : ignore certaines initiations de la conversation et semble continuer ce qu’il faisait comme si rien ne s’était passé, et parle à n’importe qui n’importe où.

Des résultats très hétérogènes

Nos résultats révèlent une grande hétérogénéité dans l’ensemble des domaines ciblés, allant du pathologique jusqu’à l’excellence. Ils poussent à remettre en question l’idée d’un profil spécifique à l’ensemble de cette population. Nous retrouvons également une grande variabilité entre les réponses des parents et celles des professeurs ayant accepté de participer. Pour les habiletés socio-comportementales, selon les parents 40% ont un niveau de compétence sociale en dessous de la moyenne et, selon les enseignants, 70% de ces enfants sont à risque de troubles psychiatriques.

Nous devons donc élargir notre réflexion sur leur fonctionnement atypique ainsi que sur la relation entre professionnels pour une amélioration des prises en charge et une compréhension mutuelle enrichissante. Car comme le montrent nos résultats, chaque enfant est unique avec ses propres forces et faiblesses auxquelles le haut potentiel apporte une coloration particulière.

Nous évoluons dans une société avec des règles à respecter et déterminant une « normalité ». Les individus ne répondant pas aux normes fixées sont déclarés « anormaux », ce qui, dans l’esprit populaire, est porteur d’une connotation négative et péjorative. Or, les enfants à hauts potentiels sont « anormaux », « handicapés (…) dans l’autre sens » selon Chauvin (1975), mais privés de toutes connaissances sur leur véritable fonctionnement, ce qui vient fixer sur eux une étiquette d’enfants différents et parfois difficiles, biaisant leurs perceptions d’eux-mêmes et leurs relations sociales, alimentant par là-même leur insécurité fondamentale.

Comme nous avons déjà pu le mentionner précédemment, l’étude des habiletés sociales des enfants à hauts potentiels au travers du modèle intégratif des processus émotionnels et cognitifs dans le traitement de l’information sociale selon Lemerise et Arsenio (2004) semble présenter un intérêt majeur. Son utilisation permettrait de déterminer quelles variables viennent enrayer le bon déroulement des interactions sociales chez les enfants à hauts potentiels. Et ce support pourrait aider à expliquer les difficultés vécues par l’enfant non seulement à lui-même mais aussi à son entourage familial et scolaire.

Vous trouverez dans la seconde partie de cet article mes remarques personnelles et quelque pistes pour entamer la discussion sur ce sujet.

Télécharger l’étude complète au format PDF

Accéder au profil de Sara Coduri sur Enfants Précoces Info

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